Dans le cadre de la rédaction du livre blanc sur le futur des RH en partenariat avec les think tank Disruptif RH et le lab RH nous allons à la rencontre des innovateurs, startup et décideurs RH. Ce mois ci nous rencontrons Madame Samira BELHADAD, DRH de OTIS ascensoriste leader en France et en Europe.
Matthieu CEO de Human Station organisme de formation digital
Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?
Samira Belhadad:
Mon parcours s’est fait dans 4 grands groupes. Au cours de la première période chez Thales j’ai appris mon métier d’abord à la formation, puis en tant que généraliste RH jusqu’à devenir « chef du personnel ». J’ai alors commencé à travailler sur un PSE et la fermeture d’un établissement. Cela m’a conduit à réaliser que les sujets notamment l’humain sont des sujets qui se traitent tout de suite et pas dix après.
Huit ans plus tard, je souhaitais travailler au niveau international. J’ai par conséquent rejoint Alstom dans la partie énergie. Mon patron était Canadien et les équipes se répartissaient sur trois pays. J’ai rapidement pris la responsabilité des Emirat Arabes Unis pour l’ensemble de l’activité Alstom du Moyen Orient pour l’activité énergie.
Cela m’a donné une autre perspective et j’ai évolué sur une autre région composée de l’Europe de l’Ouest d’une part et de toute l’Afrique d’autre part jusqu’à ce que nous soyons rattachés Dans le cadre d’une fusion d’entreprise à General Electric.
Le rattachement s’est fait à la suite d’une longue période d’approbation par l’Autorité de la Concurrence. Il s’est traduit par la mise en œuvre d’une réorganisation. Lors de cette phase j’avais un rôle opérationnel puisque j’étais responsable de l’Europe du sud : Italie, Espagne, Portugal, Belgique. Mon rôle était transverse : je devais accompagner la réorganisation du service RH sur l’ensemble de l’Europe. GE est un groupe américain. La mentalité, mais aussi la culture d’entreprise étaient diamétralement opposées à celle d’Alstom. Après 3 ans j’ai rejoint Otis qui était alors dans le Groupe américain UTC. Nous venons justement de nous autonomiser ! Cela aura des implications notamment sur la partie R&D puisque du coup nous allons récupérer notre contribution pour davantage investir sur cette partie clé. La décision est récente, nous allons voir quel en sera l’impact sur la fonction RH. J’ai choisi la France, un pays important pour Otis, le 3ème pays en terme d’activité. Il y a beaucoup à faire sur le changement puisque nous sommes un peu à la traîne. C’est ce qui m’a amusé ces trois dernières années.
Matthieu : Culture et changement ! Deux thèmes qui nous passionnent justement quel est le rôle d'un DRH aujourd’hui sur ces aspects notamment dans le cadre d’une transformation technologique si cela s’applique à Otis et autrement en général ?
Samira Belhadad:
Le rôle du DRH est dans l’accompagnement. Le Digital reste une technologie et un outil. Ce qui est important avant tout c’est de savoir ce que l’on veut en faire et comment vous l’accompagnez. Quand je suis arrivée avec un certain nombre de collaborateurs en 2017 nous avons par exemple doté l’ensemble de nos techniciens d’un Iphone.
Mon 1er CCE, était le pire de ma vie (rires). Je m’en rappellerai longtemps. En particulier derrière l’Iphone il y avait de nombreuses applications liées. Or nous passions d’un outil très encombrant à un Iphone léger offrant des facilités aux collaborateurs. Malgré cela, il a été mal reçu par les organisations syndicales. Cela nous a beaucoup surpris à la direction.
Comprendre le changement n'est pas passer d’un outil à un autre.
L’accompagnement au changement suit une courbe. Au démarrage les collaborateurs ont tendance à se focaliser sur les contraintes par exemple la géolocalisation. Comment dès lors changer la perception, agir sur la manière dont les collaborateurs vont appréhender ce changement ? Cela implique de réaliser que le changement se fait par étapes. Il ne faut en brûler aucune.
Notre rôle par conséquent est d’être dans l’anticipation et d'accompagner en donnant du sens. Chaque changement repose toujours sur une raison d’être, afin d’atteindre des objectifs et un résultat.
Certes vous pouvez atteindre voire dépasser votre objectif, ou bien au contraire ne l’atteindre que partiellement. Mais dans tous les cas l’essence du changement ne repose pas sur l’outil. C’est un moyen pour parvenir à un résultat attendu. Les ressources humaines peuvent apporter cette dimension de sens et de conduite du changement lorsqu’elles accompagnent et maîtrisent la partie technique.
De mon côté j’avoue avoir bénéficié de la formation de General Electrics qui a été déterminante. En particulier lors du processus d’intégration que nous avons vécu, les cultures initiales de la France et des Etats-Unis étaient diamétralement opposées. Mais nous utilisions un certain nombre d’outils sur lesquels j’ai été formée et qui m’ont donné cette « appétence » pour la conduite du changement. En ce sens le RH a un rôle fondamental.
A quoi servait l’Iphone justement pour vos techniciens ?
Aujourd’hui plus de trois an et demi après la mise en œuvre l’adhésion est forte. Cela a modifié fondamentalement la manière de travailler.
Aujourd’hui plus de trois an et demi après la mise en œuvre l’adhésion est forte. Cela a modifié fondamentalement la manière de travailler.
Un technicien dispose désormais de QR codes pour les informations clients, ils peuvent faire des simulations de pannes et mener des diagnostics à partir d’une fonction scan. Ils sont également en mesure d’identifier des problèmes de maintenance de 1er niveau. Cela a changé fondamentalement la manière de travailler pour nos équipes.
L’enjeu du changement pour l’entreprise est de gagner en productivité. Et ne pas le dire revient à changer la donne, masquer justement l’essence du changement souhaité.
En effet un outil qui permet à des collaborateurs d’être plus performants, de découvrir une panne plus rapidement est une bonne chose.
Du même coup vos collaborateurs vont pouvoir développer la partie conseil auprès de leur client, proposer des changements de pièces préventifs plus rapidement plutôt que 6 mois plus tard, et ainsi leur éviter des pannes plus importantes. Au final le changement nous a permis d’améliorer la relation client et le business. Mais cela implique bien sûr de la transparence et une communication maîtrisée en amont auprès des collaborateurs.
Justement comment voyez vous le rôle des Ressources Humaines par rapport aux processus et méthodes des métiers. Tous les DRH ont-ils la même proximité aux métiers ?
A l’origine j’ai un parcours juridique d’experte en droit social, puis j’ai rejoint « la formation » ce qui allait à l’opposé de mon parcours initial. J’ai choisi l’opposé afin d’acquérir une hauteur de vue dès le départ. Afin de ne surtout pas m’enfermer dans des silos. Bien sûr le droit social me sert au quotidien en particulier en ce moment (rires); je m’en sers beaucoup depuis 4 semaines. Je m’en suis d’ailleurs toujours servi et je m’en servirai tout le temps.
Mais il y a deux profils de RH : d’une part le profil d’expert, dont la base est le droit social. Cet expert est le recours que l’on viendra chercher en cas de problème. Ce type de DRH se retrouve au cœur du problème et il apporte des solutions concrètes. D’autre part il existe un autre profil de DRH qui est à la fois expert - l’expertise est un prérequis dans une grande organisation complexe - et en même temps Business Partner. Être un DRH Business Partner implique de comprendre l’activité, ses cibles et les mécanismes de l’activité commerciale (le Business).
Lorsqu’un DRH maîtrise à la fois ses fondamentaux en droit social, la partie outils et en même temps comprend l’activité, il est à la fois capable de résoudre les problèmes et de les anticiper. Or c’est cette anticipation qui fait la différence ! En effet tout le monde est outillé et capable de l’être. Mais encore faut-il apporter ces outils au bon moment. Dans un monde en transformation, ce type de DRH est indispensable.
Lorsque nous avons réalisé un Plan de Sauvegarde chez Thalès, nous tenterons d’apporter des réponses à des problèmes vieux de 10, voire 15 ans ! Si nous avions traité les compétences des collaborateurs au bon moment, nous aurions pu éviter ces PSE.
Je trouve par conséquent fondamental de disposer dans chaque entreprise d’un guide des métiers qui décrit les missions et les attentes. Il doit être disponible pour que chacun puisse comprendre comment évoluer au sein de son métier, sa filière. Tous doivent visualiser et comprendre les passerelles métiers de leur entreprise. C’est ce qui permet de se prémunir contre l’usure dans un métier, d’éviter l’incompétence à cause de comportements routiniers, de forcer chacun à la remise en question. Voilà à mon sens la valeur ajoutée du DRH !
Résoudre des problèmes implique des expertises sur l’activité partielle, le disciplinaire ou autres. Mais travailler sur les métiers, les passerelles qui les connectent entre eux implique des RH courageux. Ils doivent mettre « les mains dans le cambouis » et faire preuve de créativité pour comprendre quels sont les métiers auxquels chacun a potentiellement accès. Cela suppose que cela soit écrit, que les moyens soient mis en place pour le faire. Là encore il s’agit d’une des valeurs ajoutées du DRH !
Or certains DRH ont pu perdre de vue le sens de leur fonction, en répondant aux sollicitations d’expertise, de résolution de problèmes.
Ne sort-on pas du monopole de la DSI d’une part au profit des métiers ? Comment faire évoluer d’autre part de référentiel métiers quand on est une fonction back office ?
Je ne suis pas d’accord sur votre vision back office en contradiction avec le rôle de HR Business Partner.
L’enjeu est de mettre d’anticiper sur le temps long puis d’avoir la capacité à mettre en œuvre les changements dans les méthodes de travail. Dans certains cas l’impact peut-être long dans cinq voire dix ans. Le temps est une donnée importante dont il faut tenir compte lors d’un changement. Certes vous avez le temps de gérer, mais si vous n’avez pas formalisé par écrit, fait le point sur votre organisation à date, alors il est difficile de savoir quel sera l'impact du changement sur les fonctions en particulier chez nos techniciens.
Les outils technologiques innovants mettent du temps à s’étoffer, à aboutir et donc à avoir un impact sur le métier d’un technicien comme dans le cas de la maintenance prédictive. Cela vous laisse le temps de préparer cet impact d’une part et de structurer différemment le temps gagné au profit de nouvelles activités d’autre part. La question est de définir le contenu de ces activités. ils adoptent de plus en plus des postures de conseil car ce ne sont pas des commerciaux mais des technico-commerciaux. Ainsi la maîtrise technique leur donne un atout réel pour conseiller une copropriété, un concierge et lui expliquer l’importance de changer une pièce afin d’éviter une panne.
En changeant ses méthodes et le contenu de son travail grâce au digital, le technicien peut ainsi passer plus de temps à expliquer, voire à expliquer les enjeux à ses interlocuteurs. C’est dans l’intérêt de tous pour un meilleur service.
Comment faire évoluer les mentalités en même temps que l’outil dans une optique business ?
Il faut pour cela disposer d’une bonne fonction. Le packaging de l’offre clients vient du terrain, de l’équipe de technico-commerciaux qui connaît le client. La fonction marketing donne une vision prospective et définit les attentes de demain : besoins et marché. En ce sens elle permet d’anticiper et de bien faire travailler vos équipes.
Il y a donc une alliance de fait entre la DRH et le marketing finalement ?
Je suis invitée aujourd’hui aux comités de direction marketing et je peux ainsi écouter, comprendre, anticiper l’évolution d’une filière à long terme. Cela n’a pas besoin forcément d’être réalisé dans l’année qui vient, mais cela me permet structurer ma stratégie de recrutement, de varier les profils afin de gagner en créativité, d’avoir de la confrontation et d’éviter des collaborateurs trop formatés. Recrutement, évolution de la filière et de la culture d’entreprise. Bien positionné le RH peut apporter un autre éclairage sur tous ces sujets !
Recrutement, formation, métier, culture sont donc selon vous les principaux leviers de pouvoir de la fonction RH ? Est-ce une fonction qui doit avoir une stratégie de pouvoir, voire une stratégie politique afin de renforcer son influence au sein d’une entreprise. Ou bien est-ce que cela se fait naturellement ?
Cela se fait naturellement lorsque vous n’oubliez pas les deux casquettes : apporter la solution à un problème donné et auquel il faut répondre et faire des propositions, anticiper des problèmes auxquels l’entreprise fait face.
J’ai réalisé assez tôt que dans certains milieux sociaux, les métiers sont méconnus ce qui ne permet pas d’orienter vers les bonnes filières. Certains découvriront tardivement leur métier à travers un contrat d’apprentissage à 23 ans parce qu’une entreprise recrute via le pôle emploi et communique activement. Ces voies d’accès permettent d’intégrer sur un processus de formation plus ou moins long.
Comment améliorer les liens entre le vivier et l’entreprise ?
Par des associations qui promeuvent les métiers et en faisant venir les jeunes dans les entreprises très tôt, dès le collège. Il y a également le tutorat, les offres de stage. Ce qui change fondamentalement entre les personnes c’est la méconnaissance des métiers. On imagine que mécanique signifie travailler dans un garage. Il s’agit d’un de mes chevaux de bataille : je crois qu’il faut faire découvrir les métiers et travailler sur l’apprentissage.
Nous disposons chez Otis d’un centre de formation. Nous avons également tissé des liens avec des CFA des IRUP car nos besoins sont très importants. Recruter seulement en interne est impossible. Actuellement nous comptons près de 4% d’apprentis dans l’entreprise. Nous réalisons également des POEI avec le Pôle Emploi (Préparation Opérationnelle à l’Emploi) pour créer des parcours de reconversion vers le métier d’ascensoriste.
Une DRH et une entreprise doivent s’inscrire à mon sens dans leur territoire. C’est dans l’intérêt commun. A ce titre, nous avons d’ailleurs signé la charte « Les entreprises s’engagent ». Elle doit former pour répondre aux besoins de l’entreprise.
Dans un monde idéal quels sont les indicateurs dont vous auriez besoin pour pouvoir suivre et évaluer une formation ?
Je souhaiterais pouvoir suivre la réalisation d’une formation par populations, par Catégories Sociaux Professionnelles.
Nous devons former toutes nos catégories socio professionnelles. C’est une question d’équité. Les assistantes par exemple sont des publics réfractaires. En ayant ces indicateurs nous pouvons leur faire des propositions adaptées.
J’aimerais également pouvoir suivre l’évolution des compétences par métiers et par âge ; c’est toujours une question d’équilibre. Je souhaiterais également mieux mesurer leur efficacité.
A ce titre nous réalisons des évaluations de satisfaction à chaud, mais je n’ai encore jamais vu d’organisme réalisant des évaluations à froid. Par exemple nous avons des programmes très lourds pour nos commerciaux qui durent un an. Or à la fin je ne dispose d’aucun outil pour dire s’ils ont bien acquis tous ces pré-requis. Il est nécessaire de mesurer plusieurs semaines voire mois après pour s’assurer de l’acquisition des savoir-faire. |